Pilipili Mulongoy (c. 1914-2007) ; Sans titre, 1954, Estimation : 4500 / 6500 €

Pierre Loos, entretien avec un marchand d’art tribal

Le grand marchand et voyageur Pierre Loos, a installé depuis plusieurs décennies sa galerie Ambre Congo dans le quartier des Sablons à Bruxelles. Fondateur de la foire BRUNEAF, observateur avisé du marché, il s’apprête à céder une partie de sa collection chez Piasa.

Ensemble de dix appui-nuques dont un Oromo, EthiopieBois, Estimation : 800 / 1200 €
Ensemble de dix appui-nuques dont un Oromo, EthiopieBois, Estimation : 800 / 1200 €

Vous vous apprêtez à céder une partie de votre collection, en trois ventes consécutives, chez Piasa. Qu’est-ce qui vous a amené à cela ?
Il est venu pour moi le moment de transmettre des choses. En trois parties, cinquante ans de ma vie vont défiler et correspondre à ce que je suis, à ce que j’ai été. Pour quelqu’un comme moi, qui ai eu la chance de voyager, partir sans transmettre, c’est s’enfuir comme un voleur. Quand certains construisent des murs, je préfère les ponts.

Cela exprime un peu votre vision du marchand, comme celle d’un passeur. Échanger des objets à grande valeur symbolique, en tout cas culturellement signifiants, c’est échanger des idées…
Le seul fait pour moi d’avoir découvert des choses, de les avoir portées à la lumière, est très valorisant. Par exemple, quand j’ai ramené les tissus Kuba du Kassaï et que le monde entier s’y est intéressé, cela incluant quelques grandes universités américaines, c’était quelque chose de fort. Pourtant, je n’ai rien inventé ! J’ai juste cru en quelque chose. Un instinct de marchand. Je n’arrive pas à apprécier un Fontana… Je suis sur la beauté du geste, du travail, de la matière, de la patine, de l’histoire.

Vous approchez la question, quels étaient et quels sont vos critères de sélection, en tant que marchand ?
L’ancienneté d’abord. J’ai horreur des copies et des faux, ça m’écœure. Les règles sont simples : un objet doit avoir été fait par des gens des tribus, pour un rôle dans les tribus. Il doit avoir une patine d’usage, mais jamais n’être âgé artificiellement — ce qui se fait à destination des touristes. Donc l’authenticité en premier lieu, l’originalité, et puis la beauté enfin. Mais cela ne relève que de moi.

Partie de tambour Pende, République Démocratique du CongoBois, Estimation : 600 / 900 €
Partie de tambour Pende, République Démocratique du CongoBois, Estimation : 600 / 900 €

Aujourd’hui, on constate que le prix des pièces d’art classique africain augmente, que les records tombent. Quel regard portez-vous sur cela ?
Il est temps ! C’est invraisemblable que les témoignages artistiques des tribus primordiales soient considérés comme un art de touristes. Quand on dépassait 25.000 €, il y a 25 ans, il y avait un article dans la presse ! Ce n’est plus le cas aujourd’hui, bien heureusement. La comparaison avec l’art contemporain est insoutenable également. Pourquoi vendrait-on un Basquiat des dizaines de millions d’euros, et un chef d’oeuvre de l’humanité quelques centaines de milliers ? Ce n’est pas raisonnable, et ce qu’il se passe actuellement est un réajustement. D’ailleurs, la mauvaise vision que l’on avait de l’art tribal explique pourquoi il n’est pas entré au Louvre — hormis par la porte de derrière grâce à l’influence de Chirac et de Jacques Kerchache (dans Le Pavillon des Sessions, NDLR).

Autel-boîte Yoruba, cimier de danse et coiffe Yoruba, NigériaBois, cuir, tissu, miroir et cauris Estimation : 800 / 1200 €
Autel-boîte Yoruba, cimier de danse et coiffe Yoruba, NigériaBois, cuir, tissu, miroir et cauris
Estimation : 800 / 1200 €

Vous êtes aussi un grand collectionneur d’art moderne congolais. Ces derniers temps, cette scène semble sortir un peu de l’ombre, au moins en France. Le dernier exemple en date est « Beauté Congo » à la fondation Cartier, sous le commissariat d’André Magnin, ou vos oeuvres étaient nombreuses.

« Beauté Congo » était une très belle exposition et j’admire le travail d’André Magnin. Concernant l’art congolais, j’espère, et je crois, que ça va être une explosion. La vente Piasa sera la première dispersion d’une série structurée, et importante, de cette école du Congo. Je ne pense pas obtenir de grands prix parce que c’est le début, mais j’espère qu’elle va fixer le socle du marché autour duquel va se développer l’art du Congo avec le temps. Je me suis focalisé sur les artistes passés par l’atelier de Romain Desfossés, le coeur de la modernité peinte congolaise.

Il y a, sur les quarante artistes en question, une dizaine qui est sortie du lot et quatre ou cinq connus. Chacun a son style : Bela, qui peignait avec les doigts, sans le moindre coup de pinceau, mais aussi d’autres : Pilipili Mulongoy, Mwenze Kibwanga…

Pilipili Mulongoy (c. 1914-2007) ; Sans titre, 1954, Estimation : 4500 / 6500 €
Pilipili Mulongoy (c. 1914-2007) ; Sans titre, 1954, Estimation : 4500 / 6500 €

En plus de cela, vous nourrissez des projets annexes à la vente…
Depuis trois ans, nous travaillons avec Thomas Boyer, qui a des connaissances universitaires, à un catalogue extensif qui sera la bible de l’art peint congolais de 1928 à 1960. Sa publication survient après une lourde collecte d’informations, de documents, de photos. Personne ne pourra faire mieux, parce qu’on a accès à trente ans d’achats de ma part, et plusieurs archives que nous avons connectées. Je vais aussi mettre en place un cabinet d’expertise. Ma proximité avec les tableaux m’a permis de connaître ce que les faussaires ne savent pas. Avec la reconnaissance de cette école, cela devient malheureusement nécessaire.

« Arts Premiers et Ethnographie », 17 septembre 2018
« Art Moderne Africain », 18 septembre 2018
« Photographies de Casimir Zagourski », 18 septembre 2018

PIASA
118, rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris

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